Dominique Gilliot ne performe pas, (exceptionnellement) (en exclusivité), mais évoque librement l’esprit des lieux, l’ancien nom de la galerie, ses années de formation, Louise Hervé et Chloé Maillet, le taxi-tram, la gay pride cette année-là, et à la suite parle d’engagement, de féminisme, de lesbianisme, de neutralité à cet endroit–là et revendique un groupe de gens qui passe en chantant devant la galerie.
DG : J'ai effectivement parlé de neutralité, mais je ne sais pas si le terme était bien choisi. Je dirais que j'ai un engagement esthétique, mais je ne réponds pas à la définition ou à la catégorisation "artiste engagée", ça me parait assez évident, je n'ai jamais abordé de front la question du féminisme, et si je m'aventure vers un côté plus politique, ce serait plutôt "par la bande", de manière plus poétique que réaliste. Je pense que j'aurais peu de force "à bras le corps", je cultive plutôt le talent que j'ai, si j'en ai un qui est de vriller le prisme en abordant la réalité de l'angle opposé à celui qui est le plus communément admis. L'humour me sert beaucoup à ça, c'est un outil précieux pour désamorcer, déconstruire, destituer.
Je n'ai jamais affirmé avec force mon lesbianisme, en tant qu'artiste : personnellement, je n'ai pas envie d'en faire un étendard, je me sens artiste, femme, bien sûr, mais je ne pense pas que cela ait plus d'importance que ça. Je ne sais pas dans quelle mesure ce que je développe est "affecté" par cet état de fait. Je ne fais bien sûr rien pour le cacher, et je pense que ça doit être assez évident, mais c'est peut être là que la neutralité intervient : je n'ai pas de goût particulier pour un art lesbien si tant est que cela existe, ça me paraît plutôt poser des limites qui n'ont pas lieu d'être. Je veux juste être une artiste qui fait de l'art sans avoir plus à justifier de ma légitimité à parler en tant que femme, ou en tant que lesbienne.
Je redoute aussi certaines formes hyper-codées qui classent d'emblée dans la catégorie "art pour les femmes qui aiment les femmes". Mikaela a évoqué mon groupe et le fait que nous jouions dans des soirées "de filles", mais je pense que pour moi le problème ne se posait pas en ces termes. D'abord, la programmation de ces soirées est en général de bonne qualité, et j'y ai vu des groupes juste bons, pas forcément des groupes de lesbiennes. Et nous jouions aussi dans des soirées lambdas, pour des publics plus mélangés, donc j'aurais trouvé ça un comble de refuser de jouer pour ce public là. LOL.
FK : Tu précises aussi que ta pratique se compose à partir d'un lieu précis : "à cet endroit là". Ca m'évoque le terme de savoirs situés développé par Donna Haraway, une notion féministe qui défend l'idée que tout savoir qui émerge a toujours une origine localisée : "Je plaide pour des politiques et des épistémologies de la localisation, du positionnement et de l'identification située, où la condition de recevabilité des prétentions au savoir rationnel est non pas l'universalité, mais la partialité. Ces prétentions concernent la vie des gens; à la vue d'en haut, de nulle part, du lieu insitué de la simplicité, il s'agit d'opposer la vue que commande le corps - toujours complexe, contradictoire, structuré et structurant." (Donna Haraway, Des singes, des cyborgs et des femmes, 1991, p. 343). Ainsi pour Haraway, un savoir situé est responsable et engage celui qui le produit, en tant qu'individu, ou en tant que groupe ou communauté. Peux-tu préciser ce que tu voulais dire par "à cet endroit là" ?
Légendes :
En haut : Sans titre, photographie, Dominique Gilliot, 2014
En bas : performance de Gilliot, session 4, février 2014, chez Treize, Paris.